L'observatoire

SETI : Les oreilles de l’humanité tendues vers l’espace (et toujours pas de « Coucou » alien)

Le radiotélescope d’Arecibo, figure emblématique du programme SETI.
Le radiotélescope d’Arecibo, figure emblématique du programme SETI.

Depuis des décennies, une poignée de scientifiques passionnés s’échinent à tendre l’oreille vers les profondeurs de l’espace. Leur espoir : capter un signal, même ténu, qui prouverait enfin que nous ne sommes pas seuls dans l’immensité cosmique. Cette quête, c’est celle du SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence ou Recherche d’Intelligence Extraterrestre), un ensemble de programmes qui, malgré les moqueries et les coupes budgétaires, continue inlassablement sa mission.

Un silence cosmique assourdissant

Depuis que Frank Drake a pointé le radiotélescope de Green Bank vers les étoiles Tau Ceti et Epsilon Eridani en 1960 dans le cadre du projet Ozma (considéré comme le premier programme SETI moderne), les scientifiques scrutent le ciel à la recherche d’un signe d’intelligence extraterrestre. Résultat après plus de 60 ans d’écoute ? Un silence pesant, parfois interrompu par de faux espoirs rapidement dissipés.

On pourrait croire que cette absence de résultat serait démotivante. Pourtant, les chercheurs du SETI gardent un optimisme à toute épreuve. Comme l’a fait remarquer Jill Tarter, figure emblématique du SETI Institute : « L’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence ». Une analogie souvent utilisée compare notre recherche actuelle à puiser une tasse d’eau dans les océans de la Terre pour vérifier s’il y a des poissons. Le volume exploré reste infinitésimal par rapport à l’immensité cosmique.

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Dr. Jill Tarter, pionnière du SETI et inspiration pour le personnage d’Ellie Arroway dans le film « Contact ». © SETI Institute

Le paradoxe de Fermi : où sont-ils donc tous passés ?

Cette absence de contact soulève une question fondamentale connue sous le nom de paradoxe de Fermi. Formulé par le physicien italien Enrico Fermi lors d’un déjeuner avec des collègues en 1950, ce paradoxe se résume à une question simple mais vertigineuse : « Où sont-ils ? »

En effet, notre galaxie, la Voie lactée, contient entre 200 et 400 milliards d’étoiles. Parmi elles, on estime aujourd’hui qu’au moins 20% possèdent des planètes dans leur zone habitable. Les calculs les plus conservateurs suggèrent l’existence de plusieurs milliards de mondes potentiellement habitables, rien que dans notre galaxie. Si l’on considère les 13,8 milliards d’années d’existence de l’univers, il est statistiquement probable que des civilisations extraterrestres aient eu le temps d’apparaître, de se développer et de maîtriser les voyages interstellaires ou, a minima, la communication à longue distance.

Alors, pourquoi ce silence ? Plusieurs hypothèses ont été avancées pour tenter de résoudre ce paradoxe, comme l’a exploré en détail notre précédent article sur la vie extraterrestre :

  • Le filtre de la Grande Extinction : les civilisations technologiques finissent invariablement par s’autodétruire avant d’atteindre le stade interstellaire
  • L’hypothèse du zoo cosmique : les civilisations avancées nous observent mais respectent une forme de « directive de non-interférence »
  • La rareté de la vie complexe : contrairement aux estimations optimistes, l’émergence d’une vie intelligente pourrait être extraordinairement rare
  • Les limitations physiques : les voyages ou communications interstellaires sont peut-être impossibles ou extrêmement difficiles, même pour des civilisations très avancées

Du projet Ozma au Breakthrough Listen : l’évolution du SETI

Les méthodes de recherche ont considérablement évolué depuis les premiers balbutiements du SETI. Si Frank Drake se contentait d’observer deux étoiles sur une bande de fréquence étroite, les projets actuels comme Breakthrough Listen balaient des millions de canaux simultanément sur des milliers d’étoiles.

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Visualisation de données radio analysées par les algorithmes du projet Breakthrough Listen

Lancé en 2015 grâce au financement du milliardaire russe Yuri Milner, Breakthrough Listen représente l’effort le plus ambitieux et le mieux financé de l’histoire du SETI. Le projet bénéficie d’un budget de 100 millions de dollars sur 10 ans et utilise certains des plus puissants radiotélescopes au monde, notamment le Green Bank Telescope en Virginie-Occidentale et le Parkes Observatory en Australie.

L’approche moderne ne se limite plus à l’écoute passive des ondes radio. Les chercheurs envisagent désormais d’autres types de signaux potentiels : lasers pulsés, anomalies dans les spectres stellaires qui pourraient indiquer des sphères de Dyson, ou même des technosignatures dans l’atmosphère d’exoplanètes.

Les fausses alertes : quand l’espoir s’envole

L’histoire du SETI est jalonnée de moments d’excitation intense suivis de déceptions tout aussi intenses. Le plus célèbre reste sans doute le « Wow! Signal », capté le 15 août 1977 par le radiotélescope Big Ear de l’université d’État de l’Ohio. Le signal était si fort et si inhabituel que l’astronome Jerry Ehman a écrit « Wow! » dans la marge du relevé d’impression.

Malgré des décennies de recherche et de tentatives pour recapter ce signal mystérieux, son origine reste indéterminée. Certains chercheurs ont suggéré qu’il pourrait s’agir d’émissions provenant d’une comète, mais cette hypothèse ne fait pas l’unanimité. D’autres candidats intéressants ont émergé au fil des années, comme BLC1 (Breakthrough Listen Candidate 1) détecté en 2019 en direction de Proxima Centauri, notre étoile voisine. Après analyse approfondie, ce signal s’est avéré être une interférence terrestre.

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Le fameux « Wow! Signal » avec l’annotation manuscrite de Jerry Ehman. Ce signal mystérieux capté en 1977 reste l’un des candidats SETI les plus intrigants jamais enregistrés. © Ohio State University Radio Observatory

Ces fausses alertes illustrent la difficulté inhérente à la recherche SETI : distinguer un signal artificiel d’origine extraterrestre parmi la cacophonie des émissions terrestres et des phénomènes astrophysiques naturels. Comme l’explique le Dr. Jason Beam dans notre entretien exclusif, « c’est comme chercher une conversation spécifique dans un stade de football pendant un match, sans savoir quelle langue est parlée ni même si quelqu’un parle vraiment. »

 

L’intelligence artificielle à la rescousse

Face à l’immensité des données collectées – plusieurs pétaoctets par jour – le SETI fait désormais appel à l’intelligence artificielle pour détecter d’éventuels signaux artificiels. Des algorithmes de machine learning sont entraînés pour reconnaître des motifs potentiellement non naturels dans le bruit cosmique.

En 2023, des chercheurs de l’Université de Californie à Berkeley et du SETI Institute ont développé un système d’IA capable d’identifier automatiquement des signaux d’intérêt et de filtrer les interférences terrestres avec une précision jamais atteinte auparavant. Cette approche, détaillée dans Nature Astronomy, pourrait révolutionner la manière dont nous recherchons la vie intelligente.

L’implication des citoyens ordinaires joue également un rôle crucial. Le projet SETI@home, bien que mis en pause depuis 2020, a démontré la puissance du calcul distribué en utilisant les ordinateurs personnels de millions de volontaires pour analyser des données astronomiques. D’autres initiatives comme Zooniverse proposent aux citoyens d’aider à l’analyse visuelle de données scientifiques, y compris celles liées à la recherche d’exoplanètes.

 

Au-delà de l’écoute : la communication active

Certains scientifiques estiment que nous devrions adopter une approche plus proactive dans notre recherche de vie extraterrestre. C’est le concept du METI (Messaging to Extra-Terrestrial Intelligence), qui consiste à envoyer délibérément des messages dans l’espace plutôt que de simplement écouter.

Cette approche ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique. Des personnalités comme le regretté Stephen Hawking ont mis en garde contre les dangers potentiels d’attirer l’attention d’une civilisation potentiellement plus avancée. « Rencontrer une civilisation plus avancée, à ce stade, pourrait être un peu comme quand les Amérindiens ont rencontré Christophe Colomb. Cela ne s’est pas très bien terminé pour les Amérindiens », avait-il déclaré.

Malgré ces avertissements, plusieurs messages ont déjà été envoyés vers les étoiles. Le plus célèbre reste le message d’Arecibo, émis en 1974 vers l’amas globulaire M13, situé à environ 25 000 années-lumière. Plus récemment, en 2017, un message baptisé « Sonar Calling GJ 273b » a été envoyé vers l’exoplanète GJ 273b, distante de « seulement » 12,4 années-lumière.

 

 

Au-delà de l’aspect purement scientifique, le SETI soulève des questions philosophiques profondes. Que signifierait pour l’humanité la découverte d’une autre forme d’intelligence ? Comment réagirions-nous collectivement à une telle révélation ?

Des études sociologiques, comme celles menées par le Post-Detection Task Group de l’Institut SETI, tentent d’anticiper les réactions possibles de nos sociétés face à la confirmation d’une intelligence extraterrestre. Contrairement aux scénarios catastrophiques souvent dépeints dans la science-fiction, ces études suggèrent que la réaction dominante pourrait être la curiosité et l’émerveillement plutôt que la panique.

La découverte d’une civilisation extraterrestre pourrait également nous aider à résoudre certains de nos problèmes terrestres. Comment une espèce technologique a-t-elle survécu à sa propre adolescence technologique ? Comment a-t-elle géré ses ressources planétaires ? Les réponses à ces questions pourraient nous fournir des indices précieux pour notre propre survie à long terme, comme l’explore notre article sur les leçons que nous pourrions tirer des civilisations extraterrestres.

L’avenir du SETI : nouveaux outils, nouveaux espoirs

L’avenir du SETI s’annonce prometteur grâce à une nouvelle génération d’instruments d’observation. Le Square Kilometre Array (SKA), actuellement en construction en Afrique du Sud et en Australie, deviendra le plus grand radiotélescope au monde lorsqu’il sera opérationnel. Sa sensibilité sans précédent permettra de détecter des signaux beaucoup plus faibles que ce qui est actuellement possible.

Dans le domaine optique, le télescope spatial James Webb, lancé en décembre 2021, révolutionne déjà notre compréhension des exoplanètes en analysant avec une précision inédite la composition de leur atmosphère. Si une planète présente des signatures chimiques inexplicables par des processus naturels (comme un excès d’oxygène ou des composés industriels), cela pourrait constituer une preuve indirecte d’activité intelligente.

Des approches encore plus innovantes sont également à l’étude. Le projet Breakthrough Starshot, par exemple, vise à envoyer des sondes miniaturisées vers Alpha Centauri à une vitesse d’environ 20% de celle de la lumière. Si ce projet ambitieux se concrétise, nous pourrions obtenir des images directes de planètes autour des étoiles voisines d’ici quelques décennies.

Conclusion : patience et persévérance

Après plus de six décennies d’écoute, les oreilles du SETI n’ont toujours pas capté le « coucou » tant espéré d’une civilisation extraterrestre. Ce silence persistant ne décourage pourtant pas les chercheurs, qui continuent d’affiner leurs méthodes et d’élargir leur champ d’investigation.

Comme le souligne Seth Shostak, astronome principal au SETI Institute, « Si les extraterrestres existent et communiquent, nous avons de bonnes chances de les détecter dans les deux prochaines décennies ». Cette prédiction optimiste repose sur la loi de Moore : si nos capacités de calcul continuent de doubler tous les deux ans, notre capacité à scanner l’univers augmentera exponentiellement.

En attendant ce moment potentiellement historique, le SETI nous rappelle une qualité fondamentalement humaine : notre capacité à rêver, à nous interroger sur notre place dans l’univers et à poursuivre inlassablement notre quête de connaissance, même face à l’absence de résultat immédiat. Car après tout, comme l’a si bien dit Carl Sagan, « Dans l’immensité de l’espace et l’immensité du temps, c’est ma joie de partager une planète et une époque avec vous »… et peut-être un jour, avec quelqu’un d’autre.

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