S’il existait un prix Nobel de la persévérance astronomique, il reviendrait sans doute à l’équipe du télescope spatial James Webb. Lancé fin 2021 après des années de retard et un budget qui a explosé, ce successeur du légendaire Hubble ne cesse de repousser les frontières de notre connaissance cosmique. Sa dernière trouvaille ? Des indices potentiels de vie sur K2-18b, une exoplanète située à 124 années-lumière de notre Terre, dans la constellation du Lion.
Et pas n’importe quelle vie : peut-être celle d’organismes qui, pour simplifier grossièrement, pourraient s’apparenter à une forme de végétaux extraterrestres. De quoi faire rêver les chercheurs… et les gourmands de l’espace !
K2-18b : Une « super-Terre » ou « mini-Neptune » aux caractéristiques surprenantes
Avant de vous emballer et d’imaginer des petits hommes verts qui nous attendent là-bas, mettons les choses au clair. K2-18b est ce qu’on appelle une « super-Terre » ou une « mini-Neptune », c’est-à-dire une planète dont la masse et le rayon sont supérieurs à ceux de notre planète bleue, mais inférieurs à ceux de Neptune. Découverte en 2015 par le télescope spatial Kepler, elle possède une masse environ 8,6 fois supérieure à celle de la Terre et un rayon 2,6 fois plus grand.
Ce qui la rend particulièrement intéressante, c’est sa position dans ce qu’on appelle la « zone habitable » de son étoile, K2-18, une naine rouge située à une centaine d’années-lumière. Cette zone représente la distance idéale par rapport à l’étoile pour que l’eau liquide puisse exister à la surface d’une planète – condition généralement considérée comme essentielle à l’apparition de la vie telle que nous la connaissons.

La température à la surface de K2-18b est estimée entre 0°C et 40°C, ce qui ressemble étrangement aux conditions terrestres. Mais ne faites pas vos valises trop vite : l’atmosphère y est probablement beaucoup plus dense que la nôtre, et la gravité à sa surface vous écraserait littéralement. Sans parler du petit détail des 124 années-lumière qui nous séparent de cette destination exotique – un voyage qui, avec nos technologies actuelles, prendrait plusieurs millions d’années.
Ce qui fait de K2-18b un cas d’étude exceptionnel, c’est qu’elle représente un type de planète absent de notre système solaire : quelque part entre notre Terre rocheuse et les géantes gazeuses comme Neptune. Les chercheurs la qualifient parfois d' »Hycéenne » – un terme désignant une planète avec un océan d’eau liquide et une atmosphère riche en hydrogène.
Des molécules organiques qui font rêver les astrobiologistes
L’excitation des scientifiques ne vient pas seulement de la position favorable de K2-18b, mais surtout des résultats obtenus par le télescope James Webb en septembre 2023. En analysant la lumière filtrée par l’atmosphère de la planète lors de son passage devant son étoile, les instruments du télescope ont détecté plusieurs molécules intéressantes :
- Du méthane (CH₄)
- Du dioxyde de carbone (CO₂)
- Et potentiellement – le conditionnel est important – du sulfure de diméthyle (DMS)
Cette dernière molécule, le DMS, est particulièrement excitante pour les chercheurs. Sur Terre, le sulfure de diméthyle est principalement produit par le phytoplancton marin – ces minuscules organismes végétaux qui flottent dans nos océans. Sa présence potentielle dans l’atmosphère de K2-18b pourrait donc suggérer – avec d’immenses précautions – la présence d’une forme de vie microbienne.

« Il est important de souligner que nous n’avons pas détecté la vie sur K2-18b, ni même confirmé avec certitude qu’elle soit habitable », explique Nikku Madhusudhan, professeur à l’Université de Cambridge et auteur principal de l’étude publiée dans The Astrophysical Journal Letters. « Nous avons seulement identifié des molécules qui, sur Terre, peuvent être associées à des processus biologiques. »
Le méthane et le dioxyde de carbone, quant à eux, sont des molécules plus communes qui peuvent avoir des origines non-biologiques. Mais leur présence conjointe, dans ces proportions, renforce l’hypothèse d’un monde potentiellement habitable, avec un cycle chimique actif ressemblant au cycle du carbone terrestre.
Un océan planétaire sous un ciel d’hydrogène
Les modèles théoriques développés par les chercheurs suggèrent que K2-18b pourrait abriter un immense océan d’eau liquide sous une atmosphère riche en hydrogène. Une configuration qui n’existe pas dans notre système solaire, mais qui pourrait être courante dans l’univers.
« Nous envisageons un monde océanique, avec une surface d’eau liquide s’étendant sur toute la planète, sous une atmosphère dense principalement composée d’hydrogène », détaille Lisa Kaltenegger, directrice du Carl Sagan Institute de l’Université Cornell, qui n’a pas participé directement à l’étude mais en commente les résultats. « C’est fascinant car cela nous montre que l’habitabilité peut prendre des formes très différentes de ce que nous connaissons sur Terre. »
Si K2-18b héberge effectivement un océan, celui-ci serait probablement très différent des nôtres. La forte pression atmosphérique et la composition chimique particulière créeraient des conditions exotiques où les « règles du jeu » pour l’émergence de la vie seraient réécrites.
Une comparaison intéressante peut être faite avec certains environnements extrêmes sur Terre, comme les sources hydrothermales des fonds océaniques, où des communautés microbiennes prospèrent dans des conditions qui seraient mortelles pour la plupart des organismes terrestres.
Mais les défis pour l’émergence de la vie sur K2-18b seraient nombreux. Le rayonnement intense émis par son étoile naine rouge pourrait stériliser sa surface. L’atmosphère d’hydrogène, si elle est suffisamment épaisse, pourrait toutefois servir de bouclier protecteur contre ces radiations nocives.
Des aliens végétariens ? Pourquoi cette hypothèse fait sens
Revenons à notre titre un brin provocateur. Pourquoi parler d’aliens « végétariens » ? L’hypothèse n’est pas si farfelue qu’elle n’y paraît.
Si la vie a émergé sur K2-18b, les chercheurs envisagent qu’elle pourrait être basée sur la photosynthèse ou un processus analogue. Dans un environnement riche en hydrogène, carbone et eau, avec une étoile fournissant de l’énergie, des organismes similaires aux plantes ou aux algues terrestres pourraient théoriquement se développer.
« L’émission de sulfure de diméthyle, si elle est confirmée, pourrait indiquer la présence d’organismes photosynthétiques semblables à notre phytoplancton », explique Sara Seager, astrophysicienne au MIT et spécialiste des atmosphères exoplanétaires. « Sur Terre, le DMS est produit lorsque ces micro-organismes meurent et se décomposent. C’est un peu comme leur signature chimique posthume. »
Ces organismes hypothétiques seraient probablement microscopiques et très différents des plantes terrestres. Adaptés à une atmosphère riche en hydrogène et à la lumière d’une étoile naine rouge, ils utiliseraient peut-être des pigments absorbant dans l’infrarouge plutôt que dans le spectre visible, leur donnant des couleurs étranges à nos yeux – peut-être noirs ou pourpres au lieu du vert chlorophyllien terrestre.
Si de tels organismes dominaient la biosphère de K2-18b, on pourrait effectivement parler d’un monde « végétarien » – ou plus précisément, d’un monde dominé par des producteurs primaires, base des pyramides alimentaires comme sur Terre. D’où notre titre légèrement humoristique, qui cache une hypothèse scientifiquement fondée.
Cette vision d’une biosphère primitive, dominée par des organismes photosynthétiques, rappelle d’ailleurs les premières époques de la Terre, avant l’émergence des animaux complexes. Pendant des milliards d’années, notre planète fut essentiellement microbienne, avec des tapis de cyanobactéries comme forme de vie dominante. K2-18b pourrait nous offrir une fenêtre sur ce passé lointain, ou sur une voie évolutive alternative.
Pour en savoir plus sur les premières formes de vie terrestres, vous pouvez consulter notre article sur l’origine de la vie sur Terre.
Les limites de notre connaissance et les perspectives futures
Malgré l’enthousiasme généré par ces découvertes, la prudence reste de mise. Les observations actuelles du télescope James Webb sont encore préliminaires et entachées d’incertitudes.
« La détection du sulfure de diméthyle n’est pas encore confirmée avec certitude », tempère Giovanna Tinetti, professeure d’astrophysique à l’University College London. « Nous avons besoin de plus d’observations pour renforcer cette hypothèse ou l’infirmer. »
Les chercheurs prévoient d’ailleurs d’utiliser à nouveau le télescope James Webb pour observer K2-18b dans différentes longueurs d’onde, afin de confirmer la présence des molécules détectées et potentiellement en découvrir d’autres. Ces futures observations pourraient également nous renseigner sur la structure de l’atmosphère et la présence éventuelle de nuages.

Les futurs télescopes, comme le Extremely Large Telescope (ELT) actuellement en construction au Chili, pourront compléter ces observations depuis le sol. Avec un miroir principal de 39 mètres de diamètre, l’ELT sera capable d’analyser avec une précision inégalée la lumière des exoplanètes proches.
« Ce qui est passionnant, c’est que nous n’en sommes qu’au début de l’exploration des atmosphères exoplanétaires », s’enthousiasme Nikku Madhusudhan. « Dans les prochaines années, nous allons étudier des dizaines, voire des centaines d’exoplanètes avec cette précision. Si la vie est relativement commune dans l’univers, nous avons de bonnes chances de la détecter. »
La recherche de biosignatures – ces indices chimiques révélateurs d’une activité biologique – est désormais au cœur de l’astronomie moderne. Elle s’appuie sur une approche interdisciplinaire, impliquant astronomes, chimistes, biologistes et même philosophes, pour interpréter correctement les signaux provenant de mondes lointains.
Ces avancées s’inscrivent dans une longue quête humaine pour répondre à la question : sommes-nous seuls dans l’univers ? Une question abordée dans notre article philosophique sur la place de l’humanité dans le cosmos.
K2-18b et la redéfinition de l’habitabilité
Au-delà de la recherche de vie extraterrestre, K2-18b nous force à élargir notre conception de l’habitabilité. Traditionnellement, les astronomes se sont concentrés sur des planètes similaires à la Terre : rocheuses, de taille comparable, orbitant autour d’étoiles semblables au Soleil.
Or, K2-18b bouscule ce paradigme. Cette planète plus grande que la Terre, orbitant autour d’une naine rouge, avec une atmosphère riche en hydrogène, pourrait pourtant abriter la vie. Elle nous rappelle que notre définition de la « zone habitable » est peut-être trop restrictive.
« Nous devons être ouverts à l’idée que la vie puisse se développer dans des environnements très différents du nôtre », souligne Lisa Kaltenegger. « Les naines rouges sont les étoiles les plus communes de notre galaxie. Si les planètes qui les orbitent peuvent abriter la vie, cela multiplierait considérablement le nombre de mondes potentiellement habités. »
Cette perspective est d’autant plus importante que les naines rouges représentent environ 75% des étoiles de notre galaxie. Elles sont plus petites et plus froides que notre Soleil, mais vivent beaucoup plus longtemps – jusqu’à des billions d’années, contre les 10 milliards d’années de vie de notre étoile.
Si la vie peut s’adapter aux conditions particulières des planètes orbitant ces étoiles, l’univers pourrait être bien plus vivant que nous ne l’imaginions. Pour en savoir plus sur les différents types d’étoiles et leur potentiel à héberger la vie, consultez notre article sur les types d’étoiles et l’habitabilité.
Conclusion : Au seuil d’une révolution dans notre vision du cosmos
K2-18b représente bien plus qu’une simple curiosité astronomique. Cette exoplanète lointaine incarne un moment charnière dans notre recherche de vie extraterrestre – le moment où nous commençons à accumuler des indices concrets, au-delà des simples spéculations.
Même si ces indices restent préliminaires et incertains, ils nous rapprochent de la réponse à l’une des questions les plus fondamentales de l’humanité : sommes-nous seuls dans l’immensité cosmique ?
La détection de molécules potentiellement liées à la vie, dans l’atmosphère d’une planète située à 124 années-lumière, est déjà un exploit technique remarquable. Elle témoigne de l’extraordinaire précision des instruments dont nous disposons désormais.
Que K2-18b abrite ou non une forme de vie primitive, sa découverte élargit notre horizon et nous invite à repenser notre place dans l’univers. Une invitation à l’humilité cosmique, mais aussi à l’émerveillement face à la diversité des mondes qui peuplent notre galaxie.
Alors, des aliens végétariens sur K2-18b ? Peut-être pas exactement comme nous l’imaginons, mais l’idée d’organismes microscopiques photosynthétiques flottant dans un océan extraterrestre n’a rien d’absurde aux yeux de la science contemporaine. Et c’est cette probabilité, aussi mince soit-elle, qui fait battre le cœur des astronomes et rêver l’humanité.
La prochaine fois que vous lèverez les yeux vers le ciel étoilé, rappelez-vous que dans la constellation du Lion, à 124 années-lumière, se trouve peut-être un monde grouillant de vie. Une vie étrange, microscopique, adaptée à des conditions radicalement différentes des nôtres, mais de la vie tout de même. Et si c’était le cas, nous ne serions plus jamais vraiment seuls dans l’univers.